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Recherche pour la sécurité alimentaire
23.06.2022 Le Prof. Dr. Beat Reidy et son équipe de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) ont développé des formules pour calculer la concurrence alimentaire et la concurrence pour l’utilisation des surfaces entre humains et animaux. Ces outils quelque peu abstraits sont précieux dans les débats sur la sécurité alimentaire. Concrètement, ils aident à rendre les exploitations laitières suisses plus efficientes et respectueuses du climat.
Toujours prêts à échanger, curieux, coopératifs et ouverts. Les responsables d’exploitations agricoles auxquels Beat Reidy s’est adressé pour son projet de recherche lui ont fait forte impression. «Sur des sujets délicats comme les engrais azotés ou les surfaces de compensation écologique, les exploitants sont vite sur la défensive», indique-t-il. «Dans notre recherche sur la concurrence alimentaire et la concurrence pour l’utilisation des surfaces, c’était différent: ils avaient envie de participer et voulaient connaître le bilan exact de leur production alimentaire.»
Nourrir 10 milliards d'êtres humains
Pourquoi le projet a-t-il éveillé un tel intérêt auprès des agriculteurs et agricultrices? Ce n'est pas un hasard si la recherche pour une production efficace de denrées alimentaires s’intensifie. À l’avenir, nous devrons en effet produire pour nourrir davantage de personnes sur une surface toujours plus réduite. D’après les prévisions de l’ONU, la population mondiale devrait atteindre les 10 milliards d’ici à 2050. La Suisse comptera alors plus de 10 millions d’habitants selon les estimations de l’Office fédéral de la statistique (OFS), à savoir presque deux fois plus qu’en 1990. Nous utilisons toujours plus de ressources naturelles pour l’alimentation. Les besoins en produits animaux continuent de croître dans le monde, tandis que les espaces disponibles pour leur production diminuent.
Les vaches et autres ruminants peuvent transformer des éléments nutritifs qui ne sont pas utilisables par l’homme en aliments précieux, par exemple du lait à partir de l’herbe d'un pâturage alpin. Mais si les vaches ne mangent que de l’herbe, elles produisent moins de lait. C'est pourquoi on leur donne aussi des concentrés sous forme de céréales ou de soja, soit des denrées propres à l’alimentation humaine. Deux questions fondamentales se posent: à partir de quel moment pourrions-nous profiter d’une plus grande valeur nutritive en consommant nous-mêmes des denrées consacrées à l’alimentation animale (concurrence alimentaire)? Dans quelles conditions est-il préférable de cultiver des pommes de terre ou des légumes au lieu d’aliments pour animaux (concurrence pour l’utilisation des surfaces)?
Mesurer le dilemme
Ces deux indicateurs – concurrence alimentaire et concurrence pour l’utilisation des surfaces – décrivent le dilemme entre la culture de fourrage pour la production laitière et celle de denrées pour l’alimentation humaine. Dans ce contexte, on parle aussi de «feed-food competition». «Jusqu’à présent, cet aspect n’a que peu été pris en compte dans l’évaluation des systèmes de production», indique Beat Reidy. «Vu la croissance attendue de la population mondiale, il est essentiel d'utiliser le plus efficacement possible les surfaces limitées disponibles pour la production de denrées alimentaires». Pour cela, il faut pouvoir mesurer cette «concurrence» entre humains et animaux.
C’est ce qu’ont réalisé Beat Reidy et son équipe de la HAFL, en collaboration avec Agroscope, centre de compétence de la Confédération pour la recherche agronomique: ils ont développé des formules pour déterminer la concurrence alimentaire et la concurrence pour l’utilisation des surfaces. Ils ont ensuite testé ces méthodes dans 25 exploitations laitières dans toute la Suisse. «Nous devions intégrer dans nos calculs des questions complexes: quels aliments sont acceptables pour l’alimentation humaine? Ou: quelle quantité faut-il pour manger à sa faim?», explique Beat Reidy.
Autant de lait – deux fois plus de concentrés
Dans les exploitations étudiées, la concurrence alimentaire était nettement inférieure à la concurrence pour l’utilisation des surfaces. En d’autres termes: toutes les exploitations produisaient plus d’énergie et de protéines sous forme de lait et de viande que ce qu’auraient offert les aliments utilisés comme fourrage s’ils avaient été consommés directement par l’homme (p. ex. le maïs). Le constat est tout autre en ce qui concerne la concurrence pour l’utilisation des surfaces: la plupart des exploitations pourraient produire plus d’éléments nutritifs si elles pratiquaient l’agriculture sur leurs sols au lieu de cultiver du fourrage. «L’économie laitière produit davantage de nourriture uniquement dans les régions de montagne, où la topographie rend la culture difficile», poursuit Beat Reidy.
Pourtant, la Suisse suit une autre direction: les exploitations laitières sont toujours plus grandes et se concentrent dans le Mittelland. En 1950, le pays comptait encore quelque 150 000 exploitations, contre 28 000 seulement en 2000. Aujourd’hui, il n’y a plus que 18 000 fermes productrices de lait environ. Et si la quantité de lait est restée constante depuis 2000, le volume de fourrage utilisé a doublé sur la même période.
Plus efficace et respectueux du climat
Dans le projet d’envergure «Klimastar» (www.klimastar-milch.ch), les fabricants de denrées alimentaires comme aaremilch, Emmi Schweiz et Nestlé Suisse entendent rendre la production de lait suisse plus efficace et respectueuse du climat. C'est là que les méthodes développées par la HAFL et Agroscope pour calculer les deux indicateurs de concurrence entrent en jeu. Concrètement, 300 exploitations laitières dans toute la Suisse reçoivent une analyse de leur empreinte carbone et de la concurrence alimentaire de leur lait. À partir de ces données, il est possible de définir des mesures. On peut réduire la concurrence alimentaire notamment en diminuant l’utilisation des concentrés ou en distribuant aux animaux des sous-produits alimentaires. Par exemple, les tourteaux d'extraction de colza, les pommes de terre fourragères ou les drêches de brasserie. Les progrès réalisés par les exploitations sont récompensés par des primes. D’ici à 2028, elles devraient réduire leur émission annuelle de gaz à effet de serre de 12 000 t éq. CO2 et améliorer de 20 pour cent la compétition entre alimentation humaine et alimentation animale.
Le projet bénéficie du soutien financier de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). Beat Reidy et son équipe assurent le suivi scientifique. Le Prof. Dr. Jan Grenz, enseignant en durabilité à la HAFL, y participe également. Avec son groupe, il s'occupe des aspects liés au climat et à la durabilité. Ce qui promet encore de nombreux échanges passionnants dans les cours des fermes.
Portrait
Le Prof. Dr. Beat Reidy a obtenu un diplôme d'ingénieur agronome à l’EPFZ, où il a rédigé sa thèse au sein du groupe Graslandwissenschaften und Ertragsphysiologie à l’Institut für Pflanzenwissenschaften. Après avoir occupé plusieurs postes dans l’économie privée et des institutions scientifiques, il a rejoint la HAFL en 2011, où il enseigne aujourd’hui dans le domaine de la gestion des herbages et des systèmes d’élevage de ruminants. Il a grandi dans une ferme dans le canton de Fribourg. Premier garçon de la famille, qui comptait déjà trois filles, il devait reprendre l’exploitation familiale. Il a préféré se tourner vers la science, mais gère aujourd’hui la ferme, qui s'occupe de vaches-mères, de porcs et produit des semences, avec l’aide d'un responsable d'exploitation.