La clé des champs

05.12.2024 Saviez-vous qu’en Suisse, la culture du lin est un élément important du patrimoine culturel ? Pourtant, avec son abandon progressif, une grande partie du savoir a été oubliée. Aujourd’hui, le lin suscite à nouveau l’intérêt, et la recherche à la BFH-HAFL comble les lacunes.

Dominik Füglistaller avec la culotte officielle de lutte en lin suisse pour la Fête fédérale de lutte 2025. (Photo : Reto Baula)
Dominik Füglistaller avec la culotte officielle de lutte en lin suisse pour la Fête fédérale de lutte 2025. (Photo : Reto Baula)


Lorsqu’on cherche à en savoir plus sur le lin, on tombe forcément sur lui : Dominik Füglistaller (BFH-HAFL) est un expert suisse incontournable de cette plante. Alors qu’il était étudiant, il avait réalisé, sur suggestion de son professeur, son mémoire de bachelor sur ce sujet, avec quelques réserves au début. Cela n’a pas duré. « La première fois que j’ai vu du lin en fleur, j’ai été conquis », se souvient l’agroécologue.

La renaissance

Jusqu’à la 2e Guerre mondiale, la culture du lin s’étendait sur environ 200 hectares en Suisse. « Et puis on a raté l’industrialisation », indique D. Füglistaller, se remémorant l’Histoire. La production de fil, qui nécessitait toujours du travail manuel, se fit de plus en plus rare. Le coton et les fibres synthétiques firent leur entrée, tandis que dans les champs, le lin disparaissait et avec lui le savoir sur cette plante. Dominik Füglistaller et d’autres expert-e-s veulent remédier à la situation, car l’intérêt pour les fibres naturelles renait.

Il y a plusieurs raisons à cela : dans le secteur de la production textile, on mise de plus en plus sur des matières premières locales et des chaines de valeur transparentes. Cela implique de prendre aussi en compte des facteurs sociaux et environnementaux. « Beaucoup de consommateurs et consommatrices veulent savoir de quoi est fait leur pull et comment il a été fabriqué », explique D. Füglistaller. « Le lin est une matière première convaincante et polyvalente. »

Des avantages durables

Le lin est une plante extrêmement frugale. Il requiert peu d’engrais, peu d’herbicides et aucun arrosage artificiel. Il n’en est pas moins très productif : un hectare fournit près de 500 kilos de fil. En comparaison, le coton en produit au maximum 300 kilos. L’utilisation multiple est un autre de ses avantages. « On exploite les fibres, mais aussi les graines à des fins alimentaires », souligne D. Füglistaller. Par ailleurs, le lin peut également servir d’engrais vert pour améliorer les sols.

Selon D. Füglistaller, l’industrie textile suisse a tout à gagner de ces fibres naturelles régionales : un matériau convaincant, agréable à porter, résistant à la déchirure, respirant, antibactérien et protégeant de la chaleur. Le lin profite aussi à d’autres : les insectes se régalent de ses fleurs, tandis que la frugalité de cette culture représente un grand avantage pour l’environnement. Les circuits de production sont courts, ce qui contribue à la durabilité, et les agriculteurs et agricultrices reçoivent une rémunération équitable. Seul bémol, « nous pouvons certes cultiver et rouir le lin, mais la Suisse n’a pas les machines nécessaires pour sa transformation. »
 

Le lin est une plante extrêmement frugale. Il requiert peu d’engrais, peu d’herbicides et aucun arrosage artificiel.
Le lin est une plante extrêmement frugale. Il requiert peu d’engrais, peu d’herbicides et aucun arrosage artificiel.

Du champ au dressing

Les plantes sont arrachées mécaniquement, avec leurs racines, et déposées au sol. Après quelques jours chauds et secs, on récolte les graines. Les plantes restent encore au champ pour le « rouissage », un processus naturel qui dissout les liaisons entre les faisceaux de fibres et les tissus qui les entourent. Déterminer le bon moment pour un rouissage parfait est un défi. « Nous autres chercheurs voulions absolument trouver une méthode mesurable », relate D. Füglistaller. La réponse des expert-e-s hollandais fut pourtant d’une simplicité déconcertante : « You have to feel it ! » En résumé, ôtez vos chaussures, marchez dans le champ et écoutez le crépitement. « On ne peut pas tout traduire en chiffres. » Après le rouissage, le lin est pressé en balles rondes et acheminé pour la production de fil.

La recherche pionnière

Dans le cadre de ses recherches, Dominik Füglistaller a étudié les variétés de lin les plus adaptées, ainsi que la manière d’optimiser la densité de semis et d’accélérer la croissance de la plante. Il a développé des modèles de croissance du lin et un système de paiement pour ses cultivateurs et cultivatrices, à qui il apporte aujourd’hui ses connaissances et son expérience avec sa société SwissFlax GmbH, devenue le pivot entre agriculture, recherche et industrie textile. L’objectif de l’entreprise est de reconstruire la chaine de production du lin suisse et de l’industrialiser, autrement dit de transformer les fibres en Suisse.

D. Füglistaller souligne que la recherche ne s’est pas seulement penchée sur la culture du lin, mais plus largement sur l’ensemble de la filière. En tant qu’enseignant, il transmet également son savoir dans ses cours : « Les fibres naturelles sont idéales pour montrer comment les différentes étapes, de la culture au produit fini, s’imbriquent et comment en faire des cultures de niche. »

« Grâce aux recherches menées à la BFH-HAFL, la culture du lin a été relancée en Suisse. La
collaboration entre la science, les agriculteurs/-trices et l’industrie textile favorise des solutions durables et donnent naissance à des projets passionnants pour le secteur textile. »

Peter Flückiger Président du comité directeur de Swiss Textiles

Perspectives

Le lin connait en Suisse une véritable renaissance. Avons-nous d’autres fibres naturelles potentiellement intéressantes ? « Oui, le chanvre par exemple » selon D. Füglistaller. Ses recherches actuelles portent sur le chanvre d’hiver, ses différentes variétés, densités et périodes de semis. « Les fibres sont prometteuses, mais il nous reste à déterminer le moment optimal pour la récolte. » L’intérêt, lui, est déjà là : « Avec des agriculteurs, le centre de formation et de conseil d’Arenenberg, et Agro Marketing Thurgovie, nous envisageons actuellement de lancer un projet régional. »

L’été prochain verra un autre projet se réaliser : pour la Fête fédérale de lutte 2025, les athlètes s’affronteront sur le rond de sciure avec des culottes de lutte en lin suisse. Le lin pourrait par ailleurs prendre de l’importance dans d’autres industries, par exemple l’automobile, sous forme de matériau composite, ou l’impression 3D, après enrobage plastique ; D. Füglistaller travaille ici sur un projet avec le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (EMPA). À l’avenir, le lin et le chanvre pourraient donc enrichir l’industrie textile, mais aussi ouvrir de nouvelles voies durables dans d’autres secteurs.


L'article provient de : focusHAFL 2/24

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Domaine: Life sciences + sciences alimentaires