«Au début, un plan d’affaires n’a aucun sens»

Bramwell Kaltenrieder a participé à de nombreuses créations d’entreprises. Aujourd’hui, il est professeur de commerce numérique, d’innovation et d’entrepreneuriat à la BFH et cofondateur de la société Powdience, qui propose une plateforme de personas basés sur des données.

Bramwell Kaltenrieder
«Au début, un plan d’affaires n’a aucun sens»

Monsieur Kaltenrieder, qu’y a-t-il de fascinant à fonder des entreprises?

C’est vrai, pourquoi est-ce que je continue à faire ça? (rires) Il est bien connu qu’il existe différents types de travailleurs. Je suis de ceux qui aiment créer du nouveau. Identifier de nouvelles opportunités, créer des offres innovantes à partir de celles-ci et pouvoir ainsi être à l’avant-garde dans certains domaines: je trouve cela passionnant! On contribue ainsi à façonner le milieu de l’économie et à créer des emplois.

Avoir une idée est une chose, la rentabilité commerciale en est une autre… À quel point cette confrontation avec la réalité est-elle contraignante?

C’est une étape exigeante, assurément ! Heureusement, le travail se fait en équipe: on profite ainsi de l’expérience de toutes les personnes impliquées. Par ailleurs, lorsqu’on se met à l’écoute du marché, on réalise rapidement si ce qu’on crée est utile ou non. Ne pas faire son entrée sur le marché trop tôt ou être prêt au bon moment, c’est tout un art! Il faut du temps, de l’argent et de la persévérance pour se rapprocher de la viabilité sur le marché par un processus itératif.

Souvent, ce sont des étudiant-e-s de la BFH qui mettent en œuvre de nouvelles idées et créent des entreprises. Le fait d’être professeur vous procure-t-il un avantage?

L’expérience entrepreneuriale constitue certainement un avantage. Mais il ne faut pas négliger l’aspect «réseau»: un vieux briscard trouvera plus facilement des partenaires qui peuvent donner de la visibilité à un projet et amener les premiers client-e-s. Cela permet de repousser le moment de rendre des comptes aux investisseurs. Mais les étudiant-e-s ont aussi des avantages: doté-e-s d’un esprit plus frais et moins biaisé, il et elles sont souvent plus à même de capter les tendances notre époque.

Comment société Powdience a-t-elle été fondée?

Honnêtement, par hasard! Avec Mike Schwede, mon partenaire chez Powdience, j’avais fondé il y a longtemps de cela l’agence numérique orange8. Voilà deux ans environ, à l’occasion d’une rencontre fortuite à Bienne, nous nous sommes rendu compte que nous étudiions tous deux les mêmes domaines. Dans la communication, l’innovation, l’entrepreneuriat et le développement de logiciels, on rencontre sans cesse ce qu’on appelle des personas. Il s’agit de représentations détaillées de personnes fictives qui représentent des groupes de client-e-s. On s’en sert fréquemment dans les moyennes et grandes entreprises pour promouvoir la centricité client. Pourtant, ils sont souvent développés de manière très superficielle, sans base tangible. Nous ne comprenions pas pourquoi, aujourd’hui encore, on utilise des personas hypothétiques, et non des personas basés sur des données – au risque (élevé) de lancer une campagne publicitaire ou un produit laissant le groupe cible indifférent. Nous nous sommes alors demandé comment améliorer drastiquement la pertinence des personas.

L’idée commerciale s’est donc dégagée rapidement. Comment en est-on arrivé à sa mise en œuvre?

À l’époque, Mike Schwede avait déjà mis au point un prototype qui pouvait être utilisé pour faire correspondre des personas avec des données Facebook. Quant à moi, j’avais démarré un projet sur des personas basés sur des données avec mes étudiant-e-s. Nous étions tous deux intimement convaincus de la pertinence de l’idée. Aujourd’hui, grâce aux outils CRM, à Google Analytics, aux newsletters et à de nombreux autres outils, on dispose d’un volume croissant de données sur les client-e-s: pourquoi se priverait-on d’utiliser ces données pour fournir des personas aux entreprises? Le faire nous a semblé logique.

Quel rôle a joué la BFH?

La collaboration avec la BFH a été essentielle : nous avons pu soumissionner notre projet en tant que mémoire de bachelor. Deux étudiants se sont manifestés et ont, en collaboration avec Powdience, considérablement fait progresser l’idée initiale. Ils ont mené et évalué des enquêtes auprès de la clientèle et élaboré des approches conceptuelles de solution avec l’équipe. Les résultats ainsi obtenus ont ensuite été directement intégrés dans le développement de la plateforme Powdience. C’était une situation gagnant-gagnant: les étudiants ont saisi cette occasion unique de s’investir dans un projet concret de startup, tandis que Powdience a énormément profité de leur travail. à noter que cette possibilité de soumettre des sujets pour les travaux de mémoire et de bachelor à la BFH est ouverte à toutes les entreprises. Ces coopérations permettent à la BFH de créer une réelle valeur ajoutée pour l’économie. Un suivi systématique du projet est primordial pour le succès de la collaboration: si les étudiant-e-s sont très motivés et possèdent déjà de nombreuses compétences, ils ont encore besoin de soutien dans la mise en œuvre. Quoi de plus naturel? En outre, la BFH met à la disposition des startups des locaux dans le Spin-off Park à des conditions très avantageuses.

Vous êtes toujours à la recherche d’investisseurs, un problème récurrent pour la majorité des startups. Avez-vous des conseils particuliers à donner?

Dans la mesure du possible, l’équipe fondatrice finance les premières étapes, y compris la validation commerciale, sans fonds de tiers. Procéder ainsi permet de se concentrer sur la nouvelle offre et les client-e-s dès le début de l’aventure, sans s’épuiser dans des discussions portant sur le plan d’affaires et d’autres aspects commerciaux. Une fois que l’on tient une demande et une première solution, les discussions avec les investisseurs potentiels se révèlent bien plus aisées. L’idéal, c’est de travailler avec des investisseurs qui soutiennent activement la startup. S’ils disposent d’un réseau dans des domaines similaires, ils peuvent être un tremplin pour le financement, offrir de la visibilité et – surtout – accroitre la crédibilité. La confiance est capitale dans l’environnement des startups. Un bon investisseur fait plus que d’apporter des fonds.

Vous êtes maintenant un expert en matière de startups. Quelles sont les erreurs à éviter?

Un principe élémentaire est le suivant: au début, un plan d’affaires est inutile. Il ne faut surtout pas se laisser forcer la main. Il est bien plus important de pouvoir présenter d’abord des entretiens validés, des données du marché ou des réactions aux premiers prototypes. En outre, il ne faut pas se concentrer uniquement sur la planification, mais procéder par itération et jeter par-dessus bord des idées qui semblaient logiques au départ. Une erreur à éviter, surtout lorsque l’on a de l’expérience, c’est de penser que l’on sait ce qui fait battre un marché particulier. Il ne faut pas non plus se fier aveuglément aux expériences et aux opinions des autres, mais plutôt faire preuve de curiosité et développer soi-même des données, des idées et des convictions. Autre élément important: si vous fondez une startup, ne pensez pas aux gros sous. Si l’on cherche avant tout à faire des ventes et devenir riche, on se dirige souvent droit dans le mur. Le succès économique n’est que le résultat d’une offre différenciée, qui procure des avantages et est bien commercialisée. Les jeunes entreprises courent en outre le danger de se complaire dans l’autosatisfaction: il faut au contraire être réaliste et autocritique très tôt. Une idée peut être géniale, mais si le marché est trop petit, elle n’aboutira pas. Il faut garder à l’esprit que neuf startups sur dix échouent. Malgré toute la fascination que l’on peut ressentir pour la création d’entreprise: s’il s’avère après vérification qu’une idée n’est pas viable, il faut savoir en faire le deuil! Dans le monde de l’économie comme dans la vie, une fin douloureuse vaudra toujours mieux qu’une souffrance interminable.

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