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«Ce n’est pas en plantant des arbres que nous jugulerons le changement climatique»
19.08.2022
Les villes suisses proposent de bons projets d’adaptation au changement climatique, explique William Fuhrer, professeur de développement urbain et de mobilité et responsable du domaine de compétences Dencity de la BFH. Il faudrait toutefois redoubler d’efforts pour lutter contre les causes de ce phénomène. Il est convaincu qu’il faudrait en outre simplifier et raccourcir les processus d’aménagement du territoire.
Monsieur Fuhrer, souffrez-vous personnellement de la chaleur?
William Fuhrer: Non, j’aime bien quand il fait chaud. Mais je m’arrange aussi pour rendre cela supportable. Nous faisons systématiquement de l’ombre dans notre appartement mansardé à Berne pendant la journée et l’aérons la nuit. Et en été, je passe beaucoup de temps à me rafraichir au bord de l’Aar ou dans la vieille ville: il fait moins chaud dans ses ruelles ombragées.
Dans le contexte du changement climatique, les périodes de canicule se multiplient. Cela complique-t-il votre travail de développeur de l’urbanisation?
Oui. En développant nos villes, nous devons prendre en compte les besoins de l’économie, de l’environnement et des personnes – et ce, de manière que les générations futures puissent également composer au mieux avec nos solutions. Pour ce faire, nous devons également nous orienter vers les objectifs de développement durable de l’ONU dans le cadre de l’Agenda 2030. Beaucoup d’intérêts et d’exigences différents se heurtent. Et à cela s’ajoutent les effets du changement climatique.
Qu’est-ce que cela implique concrètement?
Prenons l’exemple des transports: pour les commerces, les centres-villes doivent être facilement accessibles par les transports motorisés, et les riverain-e-s veulent également des places de stationnement devant leur maison. En même temps, le bruit dérange la population. Les routes représentent environ 23 % de nos surfaces urbanisées. Et maintenant, en été, les surfaces bétonnées et asphaltées se transforment à vue d’œil en ilots de chaleur, car elles emmagasinent de l’énergie et font augmenter la température à la surface.
Il faudrait donc utiliser certaines parties de ces surfaces à d’autres fins?
Oui. Dans le contexte du changement climatique, nous devons offrir davantage de zones de loisirs et d’espaces verts ombragés dans les villes. Cela afin de permettre à la population de passer plus de temps à l’extérieur. Les surfaces imperméables sont également problématiques dans la mesure où, dans de nombreuses villes aujourd’hui, l’eau ne peut pratiquement plus s’accumuler pendant une longue période. Nous la récupérons et l’évacuons directement via les canalisations. Les sols des villes sont donc complètement asséchés. Mais en appliquant la notion de «ville-éponge», nous devrions garder l’eau accumulée aussi longtemps que possible dans les centres urbains. L’humidité de l’air correspondante permettrait notamment d’améliorer le climat urbain pendant les périodes de canicule.
Citez-nous des projets aboutis d’adaptation au changement climatique dans les villes suisses.
De nombreux endroits présentent depuis longtemps des allées d’arbres. À Berne, par exemple, d’immenses platanes sont plantés le long des rues. À Bienne, de nombreux arbres ombragent le Quai du Bas. Toutefois, ces dernières années, on a manqué des occasions d’intégrer la nature, en particulier lors du réaménagement des places. Souvent, les surfaces bétonnées dominent. La place de l’Esplanade à Bienne constitue un exemple type.
Comment expliquer ça?
C’est probablement la trace de l’esprit du temps de ces dernières années, où dominaient les formes claires et géométriques. N’oublions pas l’entretien: tondre une pelouse ou entretenir un arbre, cela exige aussi du travail. J’ai le sentiment suivant: en Suisse, on procède surtout à de petites adaptations ponctuelles aux périodes de chaleur croissantes – ici quelques arbres dans un rectangle, là un brumisateur géant, comme à Zurich. Mais la nature requiert plus d’espace pour se développer efficacement. En réalité, il serait nécessaire de laisser autant que possible la nature s’épanouir dans les villes.
Avez-vous un exemple à nous donner?
C’est exactement ce que l’on essaie de faire au Quai du Bas à Bienne, évoqué plus haut. La végétalisation des façades doit s’étendre sur plusieurs maisons, les sols sont désimperméabilisés et recouverts de gravier. Il est prévu de laisser pousser des buissons et des arbustes entre les arbres le long des chemins naturels. Nous avons présenté le projet correspondant, qui a gagné un concours, dans notre laboratoire urbain BFH à Bienne et en avons discuté avec la population. Le point de départ s’annonce prometteur: le développement du projet, au cours duquel les habitant-e-s ou les propriétaires de magasins font part de leurs besoins, se poursuit jusqu’en 2023. Mais il y a de bonnes chances pour que ce soit un projet d’adaptation global amené à être réalisé d’ici 2028 après une votation.
En tant que développeur de l’urbanisation, que pouvez-vous faire pour lutter contre les causes du changement climatique?
Dans le cadre de l’aménagement du territoire à l’échelle nationale, nous appliquons depuis toujours en Suisse le concept de concentration décentralisée. En clair: notre pays compte de nombreuses communes et agglomérations réparties sur tout le territoire dans lesquelles les gens vivent et dorment mais ne travaillent pas ou ne font pas leurs courses. Un développement urbain qui s’attaque aux causes du changement climatique devrait veiller à rendre autonomes ces nombreux centres – que les gens aient donc la possibilité d’y vivre, d’y travailler, d’y aller à l’école et d’y faire leurs courses. Cela permettrait de minimiser considérablement le trafic de personnes et de marchandises.
Est-ce réaliste?
Difficile à dire. Cela impliquerait par exemple de convaincre un grand distributeur d’ouvrir une filiale dans un endroit de ce type, ce qu’il ne fera peut-être pas si cela n’est pas rentable pour lui. Pour inciter de tels changements fondamentaux, nous devons surmonter de nombreux intérêts particuliers. Mais on peut aussi envisager d’autres approches concluantes en matière de développement urbain.
Par exemple?
L’urban mining («mine urbaine»), c’est-à-dire l’utilisation des ressources existantes pour densifier le développement d’une ville. Avant de construire une nouvelle maison, il faut se demander si on ne peut pas améliorer l’ancienne. Si l’on construit un nouveau bâtiment, on devrait réutiliser les matériaux et les éléments de construction disponibles dans la ville. Le Bächliweg à Berne en est un bon exemple. Des bâtiments industriels existants y ont été transformés en logements, bien que les plans ne s’y prêtent pas du tout. On n’a donc pas créé des appartements classiques de 3,5, 4,5 ou 5,5 pièces, mais un immense immeuble de colocation avec des cuisines communes et un self-service intégré. Cela favorise également le développement parallèle de nouvelles formes de vie.
Un tel projet peut-il faire école?
Oui. Plus les exemples de ce type se multiplient, plus ils sont imités. Et la plupart d’entre nous sommes conscient-e-s que nous devons faire quelque chose. Ce n’est pas en plantant des arbres que nous jugulerons le changement climatique. Sans parler du fait que les conditions politiques générales en Suisse sont bonnes: le pays encourage la rénovation des bâtiments et la mobilité durable. Ce qu’il faudrait, c’est envisager un certain assouplissement du développement urbain. Le laps de temps entre la planification d’un projet et sa réalisation est trop long. Les processus correspondants devraient être abrégés.