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Trois arguments en faveur des installations solaires alpines – et quatre contre
11.03.2024 Depuis la pénurie d’énergie qui a menacé l’hiver 2022, les installations solaires alpines sont régulièrement évoquées comme leviers de la transition énergétique. Pour ou contre ces projets solaires d’envergure réalisés en montagne ? Faisons un tour d’horizon des arguments en présence.
Depuis l’automne 2022, les appels en faveur des installations solaires alpines ne peuvent plus être ignorés. Le déclenchement d’un conflit armé en Ukraine au printemps, les sanctions prises par l’Europe occidentale à l’encontre de la Russie et la menace, en retour, de voir la Russie restreindre ses livraisons de gaz à l’Europe ont fait apparaître, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, la crainte que la Suisse pourrait, elle aussi, venir à manquer d’électricité.
Une offensive solaire à portée émotionnelle
Un tel scénario d’une pénurie d’électricité aurait eu de graves répercussions sur les entreprises, les foyers et la population suisse. Pour y pallier, la Confédération a pris une série de mesures drastiques, parmi lesquelles l’«offensive solaire». Lorsque le Parlement a scellé l’entrée en vigueur de l’offensive solaire au 1er avril 2023, les montagnes ont été plongées, du jour au lendemain, dans une ambiance de ruée vers l’or.
Dès le départ, la discussion entourant les installations solaires alpines a suscité de vives émotions. «Ruée sur les sites alpins dans les Grisons», titrait le Tages-Anzeiger, «Personne ne veut rater le boom», la NZZ. Aujourd’hui, avec un peu de recul, un nouveau regard, plus posé, est porté sur le concept des installations solaires alpines.
Christof Bucher et Dominik Füglistaller, experts en énergie solaire de la BFH, s’emploient à recentrer le débat de manière factuelle. Nous nous proposons, sur la base des entretiens menés avec eux, de répertorier et d’expliquer les avantages et les inconvénients des installations solaires alpines.
Avantages des installations solaires alpines
Peu d’options sur la table
La Suisse ambitionne de gagner en indépendance et en durabilité en matière d’approvisionnement énergétique. Mais force est de constater que les possibilités sont relativement limitées pour repenser l’approche en la matière: l’électricité d’origine nucléaire est mal acceptée au sein de la société, les centrales électriques traditionnelles ne sont pas durables, l’énergie éolienne reste, selon le lieu d’implantation, controversée et l’énergie hydraulique n’offre plus que des possibilités d’extension limitées. Installer de grandes centrales solaires dans les Alpes constitue donc une option bienvenue pour produire demain de l’électricité durable à grande échelle.
Précieux courant d’hiver
L'autre avantage des installations solaires alpines est qu’un module photovoltaïque installé en altitude produit, sur l’année, environ une fois et demie plus d’énergie qu’un dispositif comparable implanté en plaine. Et, aspect déterminant, les installations solaires alpines fournissent, en hiver, approximativement 4 à 5 fois plus d’électricité que les panneaux en plaine, ce qui en fait une solution plutôt bien adaptée pour combler le déficit d’électricité en hiver. D’autant que la part d’énergie produite en hiver pourrait également présenter une plus-value économique.
Davantage de courant dans un délai bref
Le dernier argument, le plus décisif peut-être, qui plaide en faveur des grandes centrales solaires dans les Alpes est qu’elles offrent la possibilité de mettre en place, relativement rapidement, d’importantes capacités supplémentaires. Contrairement aux dispositifs solaires installés sur les toits existants, pour lesquels le faible taux de rénovation, les conflits d’intérêts ou le manque de motivation à investir peuvent constituer un frein au développement, les projets alpins de grande envergure font intervenir de nouveaux investisseurs disposant de gros moyens financiers, versés dans la mise en œuvre rapide de grands projets. Les installations solaires alpines permettent donc, du moins en théorie, d’accélérer la transition énergétique.
Inconvénients des installations solaires alpines
Nouvelles installations
Les systèmes d’énergie solaire étant généralement installés sur les toits existants, la pose des panneaux s’avère peu complexe. Le constat est différent pour les installations solaires alpines, qui ne peuvent être rajoutées sur un support existant, mais doivent faire l’objet d’une installation séparée, sur fondations.
Coûts élevés
L’ampleur des travaux à réaliser en amont de la construction, qui doivent résister au vent et aux intempéries des zones de haute montagne, rend les installations solaires alpines onéreuses, tant sur le plan de la construction que de l’exploitation. Christof Bucher estime, de ce fait, que l’électricité provenant des installations solaires alpines est deux à quatre fois plus chère que l’énergie photovoltaïque produite en plaine.
Gros besoins en surfaces
Selon les termes de la loi, une installation solaire alpine doit produire annuellement au moins 10 gigawattheures d’électricité. Pour produire 1 gigawattheure d’énergie solaire, Dominik Füglistaller estime qu’il faut environ une superficie d’un hectare. Une «petite» centrale solaire alpine nécessiterait donc l’équivalent de 10 à 12 fois la surface de la pelouse du Stade de Suisse, à Berne.
Manque d’acceptation
Le coût élevé des centrales solaires alpines et leur impact jugé fâcheux sur nos paysages de montagne font que ces unités pâtissent d’un déficit de popularité grandissant, à la différence des petites installations solaires décentralisées.
Solution rapide à une situation de pénurie énergétique, la centrale solaire alpine perd toujours plus de son éclat originel auprès des associations environnementales, des bailleurs de fonds publics et des investisseurs privés. Si Christof Bucher part du principe que certains projets de centrales solaires alpines seront concrétisés dans les années à venir, «l’aspect coûts sera décisif, et l’énergie photovoltaïque produite dans les Alpes finira probablement par s’avérer trop onéreuse pour changer vraiment la donne en matière de transition énergétique.»
Nos réserves en termes de surface sont limitées.
L’alternative AgriSolar
La question des alternatives durables refait donc surface. En soumettant l’idée d’agrivoltaïsme, les deux chercheurs avancent une piste possible: les surfaces agricoles ou les serres, tout en continuant de servir à la production de fruits, de baies ou de légumes, pourraient accueillir, en parallèle, des panneaux solaires placés au-dessus des cultures qui produiraient de l’énergie électrique tout en protégeant ces dernières du soleil, du vent et des intempéries, en les maintenant au frais et en les mettant à l’abri des parasites, comme l’explique Dominik Füglistaller pour illustrer le concept d’agrivoltaïsme.
Cette affectation multiple particulièrement innovante a été rendue possible par la révision de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire en 2022. «L’agrivoltaïsme est bien plus facile à mettre en œuvre que la construction de nouvelles installations en montagne», ajoute Christof Bucher, convaincu que la transition énergétique ne peut aboutir que si les infrastructures existantes sont mieux exploitées sur le plan de la production d’énergie solaire. La raison? «Nos réserves en termes de surface sont limitées.»
Expertise de la BFH sur le sujet
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