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La lutte des personnes réfugiées pour la reconnaissance
20.06.2024 Comment se portent les personnes réfugiées en Suisse ? Un couple turc évoque son long combat pour la reconnaissance. La BFH a mené un projet de recherche pour savoir dans quelle mesure les personnes réfugiées se sentent en sécurité.
L’essentiel en bref
- Les personnes réfugiées vivent souvent leurs efforts pour obtenir la reconnaissance de leur statut en Suisse comme un combat.
- Leur volonté de s’intégrer a beau être forte, elles se sentent mises sur la touche.
- Un couple rapporte les difficultés qu’il a rencontrées pour s’insérer dans le monde du travail.
- Un évènement se tiendra en marge de ce projet de recherche de la BFH le 30 octobre prochain.
Elya et Roni (prénoms d’emprunt) croyaient en l’avenir dans une Turquie ouverte sur le monde. Le jeune couple s’est engagé en faveur d’une société libre et diversifiée, ce qui lui a valu de se faire arrêter et emprisonner à plusieurs reprises. Alors que le risque de disparaitre pour longtemps derrière les barreaux croissait indéniablement, Elya et Roni n’entrevoyaient pas d’autre issue que de fuir leur pays. Début 2015, le couple a déposé une demande d’asile en Suisse pour raisons politiques.
Évènement public – Asile : sentiment d’insécurité plutôt que de protection ?
Mieux comprendre les expériences quotidiennes des personnes réfugiées, tel est l’objectif d’une soirée organisée à la Maison des générations de Berne. Elle aura lieu le 30 octobre 2024.
Vous découvrirez le projet de recherche dirigé par Carolin Fischer, réalisé à la BFH avec l’aide du Fonds national suisse (FNS). Les responsables du projet vous présenteront les résultats de la recherche et les situeront dans un contexte plus large.
Au cours d’une table ronde, des invité-e-s issu-e-s des mondes scientifique et politique ainsi que de la pratique discuteront dans quelle mesure et avec quels moyens chacun-e d’entre nous peut contribuer à une meilleure protection et à une meilleure reconnaissance des personnes réfugiées.
En sécurité et malgré tout dans l’incertitude
Le couple est arrivé dans un centre de transit et a attendu une décision concernant sa demande. Moins de trois ans plus tard, la décision est tombée - et elle était positive. Roni et Elya auraient dû sauter de joie. Mais ils ne l'ont pas fait. Qu'est-ce qui les en a empêchés ?
Roni prend une grande inspiration : « Ces trois années ont été une période difficile. Nous n’avions aucune information, nous ne savions pas ce qui allait se passer, ni quand. » Quand le couple s’enquérait de la date de la décision, on leur répondait invariablement : « Patience… »
Sa femme et lui se sentaient en sécurité en Suisse, reconnait Roni, pourtant l’incertitude quant à leur avenir ici n’a pas été facile à supporter. « Nous étions motivé-e-s pour nous intégrer, mais nous avions l’impression de vivre en marge de la société », dit Elya pour résumer ses sentiments. Pour compliquer le tout, le couple a été contraint à l’oisiveté pendant tout ce temps.
Sur la touche
Carolin Fischer connait bien ces expériences et les émotions qui les accompagnent. Elle dirige le champ thématique Caring Society de la BFH et clôturera l’année prochaine un projet de recherche sur les expériences des personnes réfugiées dans le contexte de l’asile, de la protection et de l’insécurité. « Les personnes qui ont fui leur pays nourrissent l’espoir de pouvoir commencer une nouvelle vie en Suisse. Elles veulent s’impliquer et mener une vie aussi normale que possible. Au lieu de cela, elles sont souvent mises sur la touche pour une durée indéterminée. »
Pour Elya et Roni, la reconnaissance du statut de réfugié-e n’a pas pour autant marqué la fin de l’attente. L’entrée dans la vie active s’est également transformée en épreuve de patience. Elya raconte comment, en tant qu’infirmière de formation, qui plus est expérimentée, elle a bataillé pour obtenir la reconnaissance de son diplôme. Après une phase interminable d’examen de son dossier, on lui a imposé de suivre une formation supplémentaire – stage y compris.
Sur le point d’abandonner
Avant de pouvoir suivre cette formation, Elya a dû prouver qu’elle avait des connaissances suffisantes en allemand. Cela impliquait d’étudier le vocabulaire et la grammaire. Mais avant de pouvoir commencer, il fallait l’approbation des autorités pour sa demande de cours de langue. Une fois encore, elle a dû prendre son mal en patience. Sept ans plus tard, Elya a bien progressé. Elle effectue actuellement son stage dans un établissement médicosocial. Dans quelques mois, elle espère pouvoir terminer sa formation et obtenir le diplôme suisse tant attendu.
81 000 personnes reconnues comme réfugiées
Selon le Secrétariat d’État aux migrations, la Suisse abritait près de 81 000 réfugié-e-s reconnu-e-s fin 2023. Environ 66 000 personnes ayant fui l’Ukraine disposaient d’un statut de protection et 45 300 personnes étaient des réfugié-e-s admis-e-s à titre provisoire. Environ 15 500 personnes étaient en attente d’une décision relative à leur demande d’asile et 3300 dossiers n’avaient pas encore abouti (y compris les recours devant le Tribunal administratif fédéral).
Dix ans plus tôt, la Suisse comptait 29 600 réfugié-e-s reconnu-e-s, 22 600 personnes admises à titre provisoire et près de 18 100 procédures d’asile en cours. Les cas de 1900 personnes n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision définitive.
La situation de Roni était différente, mais tout aussi pénible. Il possédait deux entreprises en Turquie. L’une produisait des pâtisseries, l’autre était spécialisée dans la gestion de projet dans le secteur de la construction. Intégrer le marché du travail suisse dans ces deux domaines semblait sans espoir pour Roni, car il ne pouvait pas présenter de certificat de capacité. Il a décidé d’entreprendre des études d’informatique et compte obtenir son diplôme prochainement.
« Notre combat a duré plusieurs années », résume Roni en évoquant les efforts déployés pour obtenir la reconnaissance des autorités et de l’économie. « Nous avons un état d’esprit positif et nous voulons aller de l’avant, malgré tout, il a parfois été difficile de ne pas se décourager. » Elya admet que sans son mari, qui l’a toujours poussée à persévérer, elle aurait abandonné le parcours de combattante pour obtenir la reconnaissance de son diplôme d’infirmière. D’une voix étranglée, elle fait remarquer qu’en plus des démarches administratives incessantes et de leur formation, elle et son époux avaient encore la charge de trois enfants à la maison. « Tout cela m’a parfois poussée à bout. »
Ce discours, Carolin Fischer l’a entendu à maintes reprises lors de ses entretiens avec des personnes réfugiées dans le cadre du projet de recherche. « Les gens trouvent les procédures et les démarches administratives lourdes et éprouvantes, qui, parfois, frisent la chicanerie. » Ces personnes ont du mal à comprendre pourquoi la Suisse n’est pas plus ouverte aux réfugié-e-s qui veulent s’investir et prendre pied dans la vie professionnelle.
Les préjugés rendent malade
Roni aussi ne peut s’empêcher de secouer la tête quand il évoque ce que pense une partie de la population locale. « Le préjugé selon lequel les réfugié-e-s ont une situation confortable et ne font que rester assis-e-s a la peau dure. Cela nous rend malades. Parce que rien ne nous ferait plus plaisir que de travailler. Tout ce que nous voulons, c’est ne plus être considérés comme des quémandeurs et pouvoir financer nous-mêmes notre vie. »
Il lance donc un appel pressant à la Suisse : « Facilitez l’intégration professionnelle des réfugié-e-s afin que nous puissions faire partie de la société et contribuer à une bonne cohabitation. »