- Story
Un changement de paradigme pour la transition énergétique
06.03.2024 Qu’il s’agisse de la gestion intelligente du réseau électrique suisse ou de la planification durable dans la construction, un changement de paradigme est nécessaire pour promouvoir la transition énergétique.
Il n’y a guère que les nouveaux bâtiments qui peuvent être vraiment durables, car ils consomment moins d’énergie. En discutant avec Stanislas Zimmermann, on remarque rapidement que ce point de vue est bien trop simpliste. En effet, l’énergie grise que renferment ces nouveaux bâtiments équivaut, selon le mode de construction qui prévaut actuellement, aux besoins énergétiques de 60 ans d’exploitation.
Ce professeur de la BFH, qui est également responsable de filière et architecte, explique de la manière suivante le changement de mentalité dans le secteur de la construction: «Auparavant, la priorité était accordée à la réduction de l’énergie d’exploitation; aujourd’hui, nous nous concentrons de plus en plus sur l’énergie grise.» L’énergie grise est l’énergie déjà présente dans les bâtiments existants ou nécessaire à la réalisation de transformations ou de nouvelles constructions. Selon l’expert, les transformations et les extensions s’avèreraient souvent plus attrayantes que les nouvelles constructions si l’on tenait compte de l’énergie grise, des émissions et des ressources consommées.
Toujours plus de béton et de câbles?
Le bilan énergétique et le bilan des ressources sont désormais pris en considération pour l’ensemble du système et sur toute la durée de vie du bâtiment. Les enveloppes des bâtiments sont utilisées pour la production d’énergie et la récupération d’eau, tandis que l’électricité, l’eau et la chaleur sont stockées pour compenser les fluctuations. Cela permet de solliciter le moins possible le réseau. Ainsi, des matériaux de construction locaux, biologiques et recyclés comme le bois, l’argile ou la pierre naturelle remplacent de plus en plus fréquemment l’acier, le béton ou la brique. Les matériaux de construction énergivores sont utilisés en dernier recours, lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative.
L’architecture fait actuellement des progrès considérables grâce à l’optimisation de la géométrie et de la construction, à l’isolation thermique, à l’intégration de l’énergie solaire et à des outils numériques toujours plus performants, qui permettent une meilleure planification. «L’architecture est actuellement en pleine mutation», explique le professeur Zimmermann, «la transition énergétique révolutionne presque tout dans ce domaine.»
Stefan Schori observe le même genre de mutation dans le réseau électrique suisse. Expert en réseaux électriques et enseignant à la BFH, il va directement à l’essentiel: «Nous nous interrogeons depuis longtemps sur le réseau électrique du futur.» Avec la propagation croissante de l’énergie solaire, de l’électromobilité et des pompes à chaleur, le réseau électrique suisse sera bien plus sollicité. Alors que jusqu’à présent, la solution consistait simplement à utiliser des câbles plus épais, M. Schori s’exprime en faveur d’une utilisation plus intelligente du réseau existant: «Les installations et appareils intelligents et contrôlables ont encore beaucoup à nous offrir.»
Privilégier le Smart Grid au lieu d’étendre le réseau
Vers midi, le photovoltaïque engendre des pics de puissance qui pourraient surcharger le réseau actuel. Toutefois, les pics de puissance maximum n’ont lieu que quelques jours par an. Selon M. Schori, «la question est donc de savoir s’il est pertinent d’étendre le réseau électrique pour l’adapter à une situation qui se produit si peu fréquemment».
Une régulation intelligente des installations solaires permettrait par exemple de réduire ces pics de puissance de 20 à 30 %. Bien évidemment, cette restriction de la puissance entraînerait des pertes d’énergie, et ce jusqu’à environ 7 % de la production. Mais ces pertes de production seraient compensées par les économies réalisées au niveau de l’extension du réseau. En effet, une régulation intelligente permettrait d’adapter le réseau à une puissance moindre, et ainsi de réduire les investissements dans le réseau et d’avoir un impact positif sur les tarifs de l’électricité.
Une transition qui se fait attendre
Que ce soit au niveau du réseau électrique intelligent ou d’une architecture intelligente, la transition énergétique est d’ores et déjà tout à fait réalisable d’un point de vue technique. Mais «tout changement est difficile», indique Stefan Schori. C’est dans la nature des choses. Ainsi, les intérêts et préoccupations économiques entraveraient la transition énergétique.
En outre, les données nécessaires pour prendre des décisions durables sont encore souvent indisponibles, ce qui explique aussi que le changement se fasse attendre. Ainsi, de nombreux gestionnaires régionaux et communaux ne connaissent pas assez précisément la charge de leurs réseaux, tout simplement en raison de l’absence de l’infrastructure de mesure nécessaire. De leur côté, les maîtres d’ouvrage ne disposent pas de chiffres réalistes sur l’énergie grise engendrée par leurs projets. Les deux branches se fient donc encore, en l’absence de données plus précises, à des valeurs indicatives.
Et la voie durable reste souvent la plus coûteuse. «Aujourd’hui, les structures porteuses en béton restent moins chères que leurs équivalents en bois», justifie Stanislas Zimmermann. Mais il observe un changement positif: «La construction durable devient plus intéressante économiquement avec l’intensification de la production en série.»
Approche minimaliste
Opérer la transition énergétique en agissant sur la consommation semble être un moyen simple et efficace. En effet, la Suisse est un petit pays, mais elle mène grand train. Nous vivons sur plus de 45 mètres carrés de surface habitable et consommons 17,8 kilowattheures, près de 33 kilogrammes d’équivalent CO2 et 287 litres d’eau par personne et par jour. Le simple fait de consommer moins semble donc être la solution évidente. Ce constat se traduit d’ailleurs par des tendances telles que les formes d’habitat plus compactes et les tiny houses autonomes.
En économisant de la surface habitable, on économise aussi de l’énergie.
Mais il ne suffit pas de miser sur la réduction de la consommation propre pour promouvoir la transition énergétique. Les deux chercheurs parviennent à cette même conclusion. Les habitats de petite taille tels que les tiny houses permettent certes de réduire la surface habitable, mais ils consomment une surface à bâtir relativement importante. Et le fait de miser entièrement sur l’autosuffisance énergétique ne contribuera pas automatiquement à atténuer les pics de puissance du réseau électrique.
Sur le principe, l’approche des tiny houses est correcte, explique Stanislas Zimmermann. Selon lui, cette solution a du potentiel. Mais il identifie un potentiel plus important du côté logements communautaires, sur le modèle du quartier Holliger: «ce genre de solutions permet d’économiser de la surface à bâtir, de l’énergie grise et de l’énergie d’exploitation.»
Des solutions pragmatiques
Stanislas Zimmermann et Stefan Schori poursuivent naturellement des approches différentes pour proposer des constructions et des logements plus durables. Ainsi, M. Schori et ses collègues prévoient un «Smart Grid Lab» où ils étudieront la fiabilité et la rentabilité des appareils et approches modernes pour élaborer les réseaux électriques de demain. Quant à lui, M. Zimmermann transmet tous les jours aux architectes de demain sa vision d’une construction et d’une rénovation durables et sensibles à l’énergie grise.
Smart Grid Lab
Le Smart Grid Lab doit permettre aux fabricants d’appareils, aux développeurs de systèmes de gestion de l’énergie et aux gestionnaires de réseaux de tester des appareils modernes et intelligents, individuellement ou en réseau, et d’étudier leur influence sur le réseau électrique.
Ce laboratoire est en cours de planification: il devrait voir le jour sur le campus de la BFH à Bienne à l’automne 2027 et être situé dans l’espace commun du laboratoire pour des systèmes photovoltaïques et du laboratoire des réseaux électriques.
Outre ces deux laboratoires, des groupes de recherche de l’institut pour la recherche sur l’énergie et la mobilité sont notamment impliqués dans le projet.